mardi 2 octobre 2007

Article Maroc hebdo N* 355



"Costa ya watan", le raz-de-marée théâtrale continue


UN TRAVAIL CORRECT


Par Kamal BENBRAHIM
Tenir les planches pendant des mois. Satisfaire des centaines, bien plus, des milliers, de spectateurs. Susciter les critiques les plus favorables. Les applaudissements les plus fournis, n'est pas une mince affaire. Beaucoup s'y sont essayé sans grand succès. Certains ont réussi haut la main cet exercice périlleux. La recette n'a rien de magique. Elle se résume en deux mots. Amour et sérieux. Amour d'un métier des plus exaltants. Sérieux dans l'accomplissement de tâches bien plus ardues qu'il n'y paraît. La troupe ''le théâtre des années 80'' applique depuis des années cette formule. Elle lui a réussi au-delà de toute espérance.

"Costa ya watan". Ce nom a quelque chose de particulier. À la fois inaccoutumé et plein de sens. Il a d'abord la qualité première d'intriguer. Au delà du cri patriote, cet intitulé est une promesse que la pièce de théâtre du même nom tient haut la main.
Du pettit au grand satire.
Plus de deux heures durant, ce sont autant de constats qu'une troupe dynamique et homogène assène presque au spectateur. Constats d'une société à la diversité clinique. Ballottée par les bourrasques d'une modernité mal assimilée. S'accrochant tant bien que mal à des racines rurales particulièrement malmenées. Mais gardant une certaine dose d'authenticité. Sa garantie de salut.En fait, ce sont plusieurs histoires imbriquées que la plume de Khadija Assad livre au regard du spectateur. Elles ont ceci en commun qu'elles constituent toutes une sorte de miroir qui clame sa réalité à la face de la société marocaine.AuthenticitéL'auteur se défend d'avoir la prétention d'apporter un remède à des maux qui ont fini par s'enraciner profondément dans un tissu social trop longtemps livré à lui même. Khadija Assad laisse, avec sagesse, ce soin aux sociologues et autres thérapeutes. En revanche, son texte est un diagnostic détaillé, un miroir fidèle. Sans fausse complaisance, ni pessimisme à outrance. Il appartient à chacun d'y puiser ce qu'il veut.La pièce, elle, se contente de lever le rideau sur une réalité que l'on préfère parfois occulter. Et c'est à ce niveau que réside sa force. Le rideau se lève sur une société rurale très attachante. Le spectateur se retrouve dans la place du village, attablé aux côtés de comédiens particulièrement convainquants. Le café, théâtre de commérages, tribune d'idées, arène de joutes oratoires croustillantes, concentre les représentants de toutes les catégories sociales rurales. Non loin de là, dans le souk, lieu de toutes les rencontres, s'expriment les paradoxes d'un tissu social écrasé par le besoin et le poids des traditions et tenaillé par une envie d'ouverture sur un environnement tour à tour redouté et désiré.Au fil des répliques s'esquisse une réalité qui, finalement, n'est pas si amère que cela. Un dosage fin d'humour et de piques garde le spectateur en éveil. Le prévient contre la tentation de sombrer dans le pessimisme. Il ne s'agit pas d'alerter, mais d'attirer l'attention. Non plus d'accuser, encore moins d'accabler, mais tout simplement de présenter. HumourUn constat en définitive bon enfant. Ventilé de tirades lourdes de sens. À l'occasion, on découvre avec plaisir le talent de metteur en scène de Aziz Saadallah, époux et éternel complice de Khadija Assad. C'est à cette dernière que revient cependant la lourde tâche d'accompagner le spectateur tout au long de la pièce. Elle incarne le rôle principal : Ghallia. Une femme bien de chez nous. Solidement campée sur ses principes. Se fiant aveuglement à un bon sens qui lui permet de jeter un regard lucide, parfois pénétrant, sur les multiples facettes de la société marocaine. Ghallia représente finalement toutes ces femmes sans instruction. Trop tôt livrées aux appétits d'hommes bien plus âgés. Privées de scolarité, d'amour, d'affection. Elle se retrouve du jour au lendemain face à des responsabilités qu'elle n'a jamais appris à assumer. Contrainte de subvenir aux besoins d'une ribambelle d'enfants qu'elle n'a jamais voulus. D'entretenir un homme qui n'en finit pas d'agoniser. Loin dans un obscur hôpital de la ville. Pourtant, Ghallia reste une bonne vivante. Elle manie l'humour avec une certaine résignation qui déroute face à tous ses tracas. Normal. Elle n'a jamais ouvert les yeux que sur cette situation qu'elle a fini par faire sienne. En dépit de quelques moments de lucidité où elle se laisse aller à se plaindre du peu de cas qu'on fait de son opinion. Même quand il s'agit de sa propre vie. La tirade: "M'a-t-on consultée quand on m'a privée d'études que j'aimais? Quand on m'a mariée trop jeune à homme qui aurait pu être mon père? Quand on m'a séparée du seul amour de ma vie?", résonne comme un coup de fouet. Finalement, se laisse-t-on penser, bien des problèmes auraient pu être résolus si l'on prenait la peine de se concerter. Sur scène, Ghallia côtoie d'autres figures typiques du milieu rural. Un père de famille terriblement macho, se faisant entretenir sans vergogne par sa femme pendant qu'il s'adonne avec délectation aux commérages sur la place du village. Un jeune serveur touche à tout, des rêves de prospérité plein la tête. Un agriculteur fermement attaché à sa terre, conscient de la précarité de sa situation, mais qui finit par céder à la tentation de chercher plus de clémence sous d'autres cieux. Clichés diront certains. Réalité rétorqueront d'autres.CharmeLe temps que l'on s'habitue à cette ambiance, le rideau tombe. Il se lève bientôt sur un nouveau décor. Puis sur un autre. À chaque fois ce sont autant de paradoxes qui sont tournés en dérision. Coup de chapeau en passant à la dextérité avec laquelle les accessoires sont maniés. A la facilité avec laquelle les comédiens troquent un rôle contre un autre, sans que le charme soit rompu. Sans que le spectateur éprouve la moindre difficulté à suivre. Au "théâtre des années 80", on aime bien surprendre le spectateur, confie Khadija Assad. Bien davantage, avec "Costa ya watan", il est conquis. Un sentiment que les membres de la troupe parviennent avec art à communiquer aux spectateurs. Et l'on se surprend à prendre conscience de ces mille petites choses qui passent inaperçues dans la foulée de la vie quotidienne. Corruption, clientélisme, fraude et autres tares sautent soudain aux yeux. Mais la réaction est bizarrement sereine. A peine une pointe de dégoût qui persiste après le baisser du rideau.Elle est peut être plus efficace qu'une violente, mais brève révolte. Cette pointe, les spectateurs de Casablanca, Rabat, et des autres villes du Royaume, la gouttent depuis 1997. Le duo Khadija Assad et Aziz Saadallah a même programmé en parallèle des représentations gratuites dans les hôpitaux se chargeant de payer des demi-cachets aux autres membres de la troupe. En dépit de l'état lamentable des salles et de l'absence de toute subvention. Qu'importe, ces tracas sont vite oubliés quand explosent les applaudissements dans la salle, confie Khadija Assad. Un plaisir qu'elle et les membres de la troupe sont allés chercher jusqu'aux États unis et au Canada.

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